Jean-Baptiste Willermoz (1730 – 1824)
« La Croix présente elle-même à l’intelligence, dans son ensemble et dans ses parties, un grand emblème universel, principalement dans la circonstance dont nous nous occupons. Par sa partie inférieure, qui est la plus prolongée, elle paraît fixée dans le centre de la Terre, de cette terre souillée de tant d’abominations que toutes les eaux du déluge n’ont pu effacer, et que le sang d’une grande et pure victime peut seule purifier. De là, elle s’élève dans une plus haute région où elle forme un grand réceptacle par ses quatre branches qui, s’étendant sans obstacle, paraissent aller toucher les quatre points cardinaux de l’espace universel et y porter les fruits de l’action unique qui s’opère au centre de ce réceptacle par l’homme-Dieu mourant sur ce centre, pour tout réparer. Ce qui nous fait facilement concevoir les immenses et prodigieux résultats que l’action toute-puissante du Verbe de Dieu uni à Jésus mourant sur la Croix a opéré sur la Nature entière visible et invisible, spirituelle et corporelle, qui en était le témoin et l’objet.
Cette croix, en divisant figurativement par ses quatre branches en quatre parties l’espace créé, nous rappelle assez clairement les quatre régions célestes [1] qui furent le premier domaine de l’homme dans son état de pureté et d’innocence [2] , comme son centre sur lequel le divin Réparateur expire nous rappelle ce centre des régions, ce paradis terrestre [3] qui fut le siège de sa gloire et de sa domination, qu’il souilla par son crime, et dont il fut honteusement expulsé pour toujours. Cependant, la glorieuse destinations de ce lieu de délices ne fut pas totalement détruite : la Justine divine se contenta d’y établir une garde sûre armée d’épée de feu [4] pour en défendre l’entrée ; mais l’homme-Dieu ayant pleinement satisfait par sa soumission et par sa mort à la Justice divine, c’est de ce centre de douleur et d’ignominie qu’il ressuscite glorieusement, et triomphant dans son humanité, il réhabilite l’homme et toute sa postérité dans le droit primitif de pouvoir habiter encore le centre de ces régions célestes. Il le purifie et le sanctifie de nouveau pour le disposer à devenir le lieu de repos et de paix où les âmes justes, après avoir purifiées et réconciliées, iront attendre à l’ombre de la grande lumière dont la pleine jouissance leur est assurée, la fin des temps, l’instant fortuné où les barrières de l’espace étant rompues, elles iront toutes ensemble à la suite du divin Réparateur recevoir le prix ineffable de la rédemption qui sera leur éternelle, absolue et inaltérable béatitude.
Que de profonds mystères ! Que de sublimes vérités rappelle donc au chrétien le signe si respectable de la Croix, chaque fois que, voulant se mettre en présence de son Créateur et invoquer Son adorable Trinité, il le trace sur lui-même. Par le premier temps de ce signe, celui qui le fait avec le respect et la confiance nécessaires se met de coeur et d’esprit en présence de la sainte Trinité, il invoque la toute-puissance du Père et en réclame les salutaires effets pour lui et pour tous ceux pour qui il se propose de prier. Par le second temps, il invoque rapidement et par la pensée l’Amour et la Sagesse du fils et implore sa Miséricorde. Par le troisième temps, il demande la Lumière divine dont il sent le besoin pour se diriger et les dons spirituels dont l’Esprit-saint est le dispensateur. Enfin par l’Amen qui en fait le quatrième temps, il demande à connaître la Volonté divine, il offre le sacrifice journalier de la sienne, il demande aux trois puissances qui ne sont qu’un seul Dieu d’être réhabilité dans sa puissance quaternaire originelle [5], et d’en pouvoir encore recueillir quelques fruits. Comment se fait-il donc qu’un acte religieux si expressif, si solennel, ne soit presque plus pour la plupart des chrétiens qu’un acte irréfléchi de pure forme et d’habitude. Et cependant, l’ingrat ose se plaindre de n’être pas exaucé ; qu’il en cherche la cause dans lui-même [6], et qu’il se réforme. Chrétiens faibles et chancelants, méditez donc souvent le grand mystère de la Croix ; cette méditation vous fournira une nourriture solide [7] qui fortifiera votre foi, ranimera votre amour et votre reconnaissance, et raffermira vos plus chères espérances. »
(Willermoz, Traité des deux natures, §22 De la Croix emblème universel)
Pour une meilleure connaissance de Willermoz, en sus des livres mentionnés, on pourra lire Jean-Baptiste Willermoz, Fondateur du Régime Ecossais Rectifié, de Jean-Marc Vivenza.
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[1] « Et tel est l’ordre de ces 7 cercles célestes planétaires : Saturne, 1 ; Soleil, 2 ; Mercure, 3 ; Mars, 4 [qui forment la région céleste] ; Jupiter, 5 ; Vénus, 6 ; Lune, 7 [qui forment la région terrestre]. » (Pasqually, Traité sur la réintégration des êtres, §217)
[2] « Mais je distingue dans la condition de l’homme quelque chose de plus éminent encore, qui ne se trouve dit nulle part ailleurs : Dieu fit l’homme et il le fit à son image . Cela ne se trouve mentionné ni pour le ciel, ni pour la terre, ni pour le soleil ou la lune. Or, cet homme qui, d’après l’Écriture, a été fait à l’image de Dieu, ce n’est évidemment pas l’homme corporel. Car le corps matériel apparent ne contient pas l’image de Dieu ; et, selon le texte, l’homme corporel n’a pas été fait, mais façonné, comme porte l’Écriture dans la suite. En effet il est dit : Et Dieu façonna l’homme, c’est-à-dire le pétrit du limon de la terre. Celui qui a été fait à l’image de Dieu, c’est notre homme intérieur, invisible, incorporel, incorruptible et immortel. Car c’est à ces qualités-là vraiment que l’image de Dieu se reconnaît. » (Origène, Homélies sur la Genèse)
[3] « Cet emplacement est ainsi nommé par les amis de la sagesse, parce que ce fut dans ce lieu connu sous le nom de Mor-ia où le temple de Salomon a été construit depuis. » (Pasqually, Traité sur la réintégration des êtres, §22) Voir aussi Leçons de Lyon, §4 & §98.
[4] « C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. » (Gn 3,24)
[5] « Le nombre quaternaire, qui est celui qui complète la quatriple essence divine […] préside à tout être créé comme étant le principal nombre d’où tout est provenu. Ainsi nous l’appelons nombre devenu puissant du Créateur, comme contenant en lui toute espèce de nombre de création divine, spirituelle et terrestre, ainsi que je vous l’ai fait comprendre par les différentes additions des quatre caractères qui composent ce nombre quaternaire, et par l’addition totale de ces mineurs, caractères que vous a rendus le nombre dénaire. » (Pasqually, Traité sur la réintégration des êtres, §101)
[6] « Notre homme intérieur est constitué d’un esprit et d’une âme. On peut faire de l’esprit le mâle et de l’âme la femelle. Si ces deux éléments s’entendent et s’accordent entre eux, par leur union ils croissent et multiplient ; ils engendrent des fils : les bons mouvements, les idées et les pensées profitables, au moyen desquels ils remplissent et dominent la terre. Autrement dit, ayant maîtrisé le sens de la chair, ils l’inclinent à de bons desseins, et ils le dominent en ne tolérant aucune insurrection de la chair contre la volonté de l’esprit. Si donc il arrive que l’âme qui est unie à l’esprit et pour ainsi dire mariée avec lui, s’écarte vers les plaisirs corporels et se porte aux jouissances de la chair, si tantôt elle semble obéir aux salutaires avertissements de l’esprit et tantôt cède aux vices charnels, cette âme souillée par l’adultère du corps, ne peut pas croître ni multiplier légitimement. » (Origène,Homélies sur la Genèse)
[7] « Toute nature raisonnable a besoin des nourritures qui lui sont propres et qui conviennent à son cas. Or la vraie nourriture de la nature raisonnable est la parole de Dieu. Mais comme nous venons d’établir qu’il y a beaucoup de différences entre les nourritures du corps, toutes les natures raisonnables qui se nourrissent, avons-nous dit, du Verbe de Dieu, ne Le prennent pas sous la même forme. A la ressemblance de l’alimentation du corps, la Parole de Dieu comporte un régime lacté, à savoir l’enseignement exotérique et simple tel qu’est celui de la morale, et qu’on donne aux débutants dans les divines études, quand ils reçoivent les rudiments de la science rationnelle. » (Origène, Homélies sur les Nombres)
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